Jardins anglais, jardins français.

Publié le par Arthur Shopenhauer

Combien la nature a le sens du beau ! Le moindre coin de terre demeuré inculte et devenu sauvage, c'est-à-dire abandonné en toute liberté à la nature, pourvu que l’homme ne vienne pas porter sur lui sa lourde main, elle s’empresse de l’orner avec tout le goût possible, elle le revêt de plantes, de fleurs, d’arbrisseaux dont la libre croissance, la grâce naturelle et la charmante disposition atteste qu’ils n’ont pas grandi sous la férule d’un grand égoïsme (…).

La plus petite place négligée par l’homme devient aussitôt belle. C’est là le principe des jardins anglais, de cacher l’art le plus possible, pour faire croire à un libre travail de la nature. (…) La grande différence entre les jardins anglais ou plus exactement chinois, et les anciens jardins français, de plus en plus rares aujourd’hui, mais encore représentés par quelques magnifiques spécimens, repose en dernière analyse sur ce que les premiers sont plantés dans un esprit objectif, les derniers dans un esprit subjectif. Dans les jardins anglais, on cherche à amener la volonté de la nature, telle qu’elle s’objective dans l’arbre, l’arbuste, la montagne et le ruisseau, à l’expression la plus pure de ses idées, c'est-à-dire à son essence propre. Dans les jardins français au contraire se reflète seulement la volonté du propriétaire, qui a soumis la nature à son caprice, et lui fait porter en signe d’esclavage, au lieu de ses idées propres, des formes arbitraires et imposées : de là ces haies coupées à hauteur égale, ces arbres façonnés par toutes sortes tailles, ces avenues droites, ces allées couvertes, etc.


Arthur Schopenhauer. Le monde comme volonté et comme représentation.

Publié dans Philosophie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article